Vente vs. Marketing, marketing vs. Vente. Cette bagarre est lassante mais voilà, on ne peut nier que le problème, entre ces deux populations, persiste bel et bien. Ici je me suis posé la question de savoir pourquoi, d’étudier les raisons de ces malentendus, et de proposer des solutions qui aillent au-delà de l’antienne « il faut se parler ! ». Enfin et surtout, je répondrai à l’interrogation : les marketeurs peuvent-ils se passer des vendeurs et réciproquement ? Une sorte de question rhétorique, je pense que vous avez déjà deviné la réponse.Le rapport “Demand Gen 2016” met en avant le traditionnel problème de communication entre vente et marketing, mais je vous demande de bien regarder le point n°3
Comprendre les motivations des vendeurs pour mieux travailler ensemble
Vente et Marketing, comment se mettre à la place de l’autre ? Ayant pratiqué ces deux professions, je me suis mis à penser dans les deux langues. Plus encore, j’ai conçu des applicatifs pour les vendeurs pendant de nombreuses années et j’ai fini par être capable de comprendre les deux points de vue.
Cela peut paraître simpliste, mais bien au contraire, appréhender correctement les motivations de l’autre partie impliquée dans une négociation est la condition sine qua non pour arriver à de bons compromis, voire mieux faire passer ses idées et être plus convaincant.
Vrai et faux problème de l’alignement vente / marketing
J’ai passé pas mal de temps à lire les études et les articles dédiés à l’alignement entre la vente et le marketing. Ils nous distillent quasiment tous un conseil qui peut être facilement résumé en une phrase : « il suffit de se parler ». Ce qui semble frappé au coin du bon sens.
Ces déclarations de bonnes intentions ne cachent pas le fait que la solution est ailleurs. Qu’on le veuille ou non, les objectifs d’un marketeur et d’un vendeur sont et resteront différents.
Après tout, les deux fonctions demandent des compétences différentes. Notamment quand le marketing digital entre en jeu. Ce qui ne veut pas dire qu’un bon marketeur ne peut se mettre à la place d’un vendeur pour bien comprendre ses motivations.
Passons par une anecdote assez extrême pour expliquer les motivations du vendeur
Anecdote : quand un vendeur prend en otage sa filiale
Je me souviens de ce commercial allemand qui chez un grand fabricant informatique où j’ai travaillé, faisait la pluie et le beau temps car il était en charge plus gros client local.
Sauf que notre commercial ne trouvait rien de mieux que de s’entendre avec son client pour mettre les commandes en attente et attendre les dernières semaines de décembre pour pouvoir se vider les poches et empocher le bonus de vente qui était donné systématiquement en fin d’année pour réaliser son chiffre à la dernière minute.
C’est que les marketeurs de ce fabricant informatique avaient sans doute oublié de penser comme des commerciaux, qu’ils avaient pourtant été un jour. C’est très étonnant. En fin de compte, il fut licencié sur-le-champ, ce qui surprit d’ailleurs tout le monde, et le chiffre d’affaire de la filiale doubla l’année suivante. CQFD.
Décoder les vendeurs
Il est donc important, à mon avis, de bien comprendre les motivations des vendeurs pour pouvoir les décoder et savoir quand ils disent vrai lorsqu’ils se plaignent de la « qualité des leads » par exemple, et quand ils se moquent de vous tout simplement car ils ont fait leur quota. Monter en compétence sur ce domaine aidera le marketeur à se faire respecter également.
Faisons donc un peu de psychologie et expliquons comment fonctionne un vendeur et comment fonctionnent les marketeurs. Et l’on me pardonnera volontiers les quelques approximations que je ferai ici.
Comment « fonctionne » un commercial
Sur le papier, le métier de commercial est assez simple. Vous avez un objectif commercial (souvent exprimé en résultats sur prévision – R/P – et résultats sur résultats de l’année précédente R/R-1, éventuellement en chiffre d’affaires et en marge). On peut ajouter des variantes, mais voilà l’essentiel.
C’est cette notion d’objectifs et de quotas qui est centrale. Toute la vente tourne autour de cela. Laissez-moi vous raconter la vie d’un vendeur telle que je l’ai vécue.
Le Stress (positif et négatif) de la vente
Je travaillais alors dans une société où l’objectif de vente était fixé au mois. Tous les 30 du mois, environ 80 % du chiffre d’affaires était réalisé le dernier jour, on remettait les compteurs à zéro.
Il m’arrivait ainsi de vendre plusieurs dizaines de milliers de produits en 1 heure (pour un chiffre d’affaires qui ferait environ 250 000 € d’aujourd’hui).
Inutile de décrire le niveau de stress lorsque vous avez à peine une journée pour réaliser un mois de chiffre d’affaires. Les clients, en outre, savent très bien jouer de ce mécanisme, et les remises et promotions pour achats groupés pleuvaient en fin de période.
Le dernier jour, on buvait un coup pour fêter la victoire ou pour oublier la défaite et on recommençait le lendemain.
Si vous enlevez la date-butoir, le couperet de l’objectif, force est de constater que le chiffre d’affaires ne se fait pas. C’est injuste c’est ainsi.
Le quota, alpha et omega du commercial
C’est bien quelque chose que les marketeurs peuvent comprendre de façon plus ou moins théorique, mais le vivre sur le terrain est une autre chose. Cela façonne le cerveau du commercial et le transforme au travers d’un réflexe quasi pavlovien en chasseur de quotas.
Même si cela est un peu caricatural, tout chez un commercial, sauf ceux qui ne sont pas motivés par le résultat et qui sont souvent de mauvais commerciaux, tourne autour de cette réalisation des quotas. Et de la rémunération qui est associée. Tout le reste lui est subordonné.
En général, les mauvais commerciaux sont ceux qui perdent du temps à faire autre chose. Ils restent derrière leur ordinateur à cliquer et envoyer des mails, ou ce qui est plus moderne, à faire du social selling sur Linkedin. Cela leur évite d’aller sur le terrain et de réaliser leur quota. Ils trouveront ensuite une excuse pour expliquer que les produits ne sont pas assez bons pour que les quotas sont trop durs, ou que les leads sont mauvais.
Le commercial, à la différence du marketeur est rémunéré sur les résultats. Et cela change tout. Selon le point de vue, on peut trouver cela infantilisant ou au contraire motivant. Le bon vendeur est dynamisé par son quota et le challenge qui lui est posé. Plus le challenge est complexe, plus il a envie de le résoudre et de le dépasser.
Les marketeurs démunis face aux commerciaux
Quand les marketeurs équipent les commerciaux en outils, il est important de ne jamais perdre cette vision du monde qui est fondamentalement différente de la leur.
Mettez-leur à disposition un CRM un tant soit peu difficile à utiliser, et ils trouveront mille excuses pour protester. Cela leur fait une excuse toute trouvée. Mais surtout, dans la mesure où leur rémunération est liée à la mesure de leur performance, tous les outils qui sont mis en œuvre, que ce soit la génération de leads où la gestion des relations clients ou le CRM, sont vus à leur prisme comme un moyen de contrôler leur rémunération.
Un moyen de contourner ce problème, c’est celui que j’avais choisi quand j’ai mis œuvre un des premiers CRM dans le monde chez Unisys, était de lier la livraison (et donc le chiffre d’affaires et a fortiori la rémunération du vendeur) au fait que le CRM était renseigné. Ainsi, même si ça râlait beaucoup, le CRM était forcément rempli puisque leur rémunération en dépendait.
Contourner le problème en comprenant mieux les motivations des commerciaux
Ainsi je ne passais pas des années à argumenter contre des fausses barbes liées au système (ergonomie, difficulté d’utilisation, erreurs de la base de données) et si l’outil restait une corvée pour eux, celle-ci elle était adoucie par le fait que ce travail était sanctionné par une rémunération.
De la même manière, si la génération de leads et le marketing automation que vous mettez en œuvre servent concrètement à la réalisation de ce quota, vous avez donc une petite chance pour que le commercial s’y intéresse. Si, en outre, vous passez du temps à ses côtés pour l’aider à réaliser ce quota, alors ce ne sera plus de l’intérêt qu’il vous portera mais de l’amour. Car grâce à vous, il pourra faire son quota et donc surperformer sur sa rémunération.
Les marketeurs et la vente
Qu’en est-il des marketeurs ? Je suis surpris de voir à quel point un grand nombre d’entre eux sont rebutés par la vente, et même d’aller simplement voir un client et pour récupérer les insights.
Ceci devrait pourtant être leur job numéro un. Mais après tout, comme nous avons vu les mauvais vendeurs ci-dessus, il y a aussi de mauvais marketeurs.
Les bons marketeurs n’hésitent jamais à se frotter au terrain. Souvent ils sont passés par la vente (ce n’est pas le bon vendeur qui fait le bon marketeur, mais le fait d’avoir été sur le terrain aide certainement) et ont compris les mécanismes que j’ai décrits ci-dessus. Car ils les ont vécus eux-mêmes.
Souvent, ils ont senti la frustration à réaliser ou non ce fameux objectif sur quotas. Un travail important, psychologique et professionnel, a dû être réalisé pour arriver à travailler ce quota.
En conclusion, mieux comprendre les vendeurs pour mieux les servir, sans se faire rouler
Le bon marketeur ne cherchera pas à changer le vendeur. La rémunération sur quota peut être considérée comme archaïque, mais elle a fait ses preuves et il y a fort peu de chances pour qu’elle disparaisse dans les années qui viennent.
Des méthodes existent pour améliorer l’atteinte de ces quotas : la mise en collaboration des objectifs au travers d’une équipe par exemple. Ainsi, on voit les équipes qui non seulement s’entraident naturellement mais qui vont se challenger elles-mêmes pour réaliser le quota, puisque la rémunération de l’un dépend du résultat de l’autre.
On pourrait très bien envisager par exemple d’incentiver les marketeurs sur les ventes ou sur leur participation à la réalisation des quotas.
Encore une fois il n’est pas question de transformer un marketeur en vendeur. Mais l’un ne peut se passer de l’autre et l’autre ne se peut ne peut se passer de l’un. Il faut donc ensuite trouver des mécanismes de rémunération et de calcul des quotas qui sont mieux réalisés et mieux pensés afin d’éviter les querelles de chapelles.
Une piste de travail concrète pour améliorer le travail en commun vente et marketing
Ceci je l’ai vécu également dans le domaine informatique. Souvent, différents types de vendeurs se mélangent. D’abord les vendeurs de produits qui sont incentivés sur les lignes de service. Et d’autre part des vendeurs transverses qui plutôt responsables de secteurs.
A cela on ajoute parfois, dans des organisation matricielles assez complexes, des vendeurs spécialisés. En anglais, parle de SST ou Specialised Sales Teams. Ces vendeurs peuvent d’ailleurs être un peu considérés comme ces « business developeurs » que j’ai décrit dans l’article précédent, à la limite du marketing et de la vente.
Le vrai nœud de la solution se trouve là : bien trouver le mécanisme de rémunération pour faire travailler efficacement les équipes ensemble et arrêter les incantations à la discussion qui sont finalement bien peu efficaces, car elles ne changent rien à la philosophie du vendeur, elle-même le résultat de ce que vous leur avez demandé : réaliser un chiffre.