Pourquoi le marketeur de demain ne sera pas un algorithme

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Il y a 250 ans, James Watt mettait au point la machine à vapeur, point de départ de la première révolution industrielle, suivie 100 ans plus tard par une seconde, grâce à la maîtrise de l’électricité et du pétrole. Le terme de troisième révolution industrielle ne fait pas l’unanimité parmi les économistes, et le fameux paradoxe de Solow — certes très vieux — fait même remarquer que les ordinateurs sont partout sauf dans les statistiques de productivité. Mais force est de constater, depuis les débuts de l’informatique, des effets similaires aux deux premières. A savoir que l’homme délègue son travail à la machine afin d’augmenter sa productivité et cela ne se fait pas sans conséquences : certains métiers n’ont plus lieu d’être et disparaissent. Les tondeurs du 19e siècle ont été remplacés par des métiers à tisser, et les cochers ont subi l’invention de la voiture au 20e siècle. D’ailleurs, si cela vous amuse, ce site Web recense tous les métiers disparus : vieuxmetiers.org. Confrontés à la liste de ces métiers disparus, on peut donc légitimement se poser la question de savoir si le marketeur sera-t-il une victime supplémentaire durant ce 21e siècle ?
Après le charbon, le pétrole et l’électricité, la donnée est le carburant au centre de cette révolution. La capacité à agréger et utiliser ces données efficacement est un enjeu important, notamment dans le marketing. Dans ce contexte, de nombreux outils ont été créés pour manipuler ces données hétérogènes (localisation, clics, photos, vidéos, textes…) provenant de sources différentes (applications mobiles, sites internet, réseaux sociaux, etc.), tout au long de l’entonnoir de ventes.

Infographie de Tomas Capponi — http://tomascapponi.com/
Les dépenses effectuées dans ces outils de marketing représentaient en 2017 selon Forrester plus de 11 milliards de dollars, et devraient s’élever à 25 milliards de dollars en 2023. Le marketeur d’aujourd’hui ne sera donc dans quelques années qu’un lointain souvenir, un métier dont on se souviendra parmi les allumeurs de lampadaires, poinçonneurs et télégraphistes. Vraiment ? En réalité, le marketeur peut dormir bien longtemps sur ses deux oreilles, voici pourquoi.

Le marketing redynamisé par le digital


Une étude de GetResponse et Smart Insights de 2018 apporte un éclairage intéressant. Les trois domaines les plus utilisés dans le marketing automation sont l’e-mail (64%), la prospection ciblée (26%) et la personnalisation de la communication de l’entreprise à travers ses canaux (23%). Ces trois domaines ne datent pas d’hier, et si leur maîtrise et leur automatisation se sont améliorées au fil des années, rien ne prouve qu’elles allègent significativement la charge de travail du marketeur.
La tendance semble même inverse. Les nouveaux outils numériques pourraient en effet avoir redynamisé les métiers du marketing : sous la pression du digital, et face à de nouveaux acteurs venant bousculer leur marché, les grandes entreprises créent de nouveaux postes de marketing digital. Le site de recrutement Page Personnel annonce ainsi qu’après une période émaillée de crises (2001-2016), contraignant les entreprises à réduire la voilure côté marketing, le digital a permis un retour à la hausse du recrutement de marketeurs.

L’humain à l’abri de la machine… grâce à son manque de compétences

 

le livre de mon confrère Stéphane Amarsy qui me pardonnera je l’espère d’en avoir détourné le titre

Un autre chiffre de cette même étude interpelle : seulement 5% des répondants se qualifient comme expert en marketing automation. Cela se vérifie atout au long de l’étude : 60% des personnes interrogées ne réalisent pas de tests sur leurs emails (A/B testing, machine learning, etc.), 53% ne font pas la moindre segmentation de leur message et 38% ne consultent pas les taux d’ouverture et de clics de leur campagne. Pour 30% des personnes interrogées, le marketing sert à gagner du temps, quand pas plus de 17% y voient un moyen d’augmenter son chiffre d’affaires. Ces répondants sont pourtant issus pour la plupart du marketing et de la technologie.
Cette absence de maîtrise du sujet interpelle mais elle est logique : elle marque la différence entre ce qu’il est théoriquement possible de faire, et la réalité du terrain. Il existe certainement des outils pouvant remplacer des tâches réalisées par des marketeurs, mais ceux-ci sont mal ou pas utilisés : à peine un quart des répondants déclare utiliser la majorité ou toutes les fonctionnalités de leur outil de marketing automation. Un outil aura beau effectuer parfaitement le travail d’un humain, il ne représentera aucun danger pour le métier de ce dernier s’il n’est pas utilisé.

Du marketeur menacé au marketeur augmenté

Tout cela nous conduit à un marketeur conforté dans son métier, fort de toutes les données récoltées et traitées par ses outils de marketing automation. Le CMO (chief marketing officer) augmenté devra comprendre, voire maîtriser les bases d’un environnement qui se numérise : langages informatiques, algorithmes, IA, plateformes… Il lui sera indispensable de savoir communiquer avec ses collaborateurs informaticiens et de comprendre leur travail. Il devra avancer dans des projets en constante évolution, être plus agile et capable de s’adapter, comme le pointe un livre blanc de l’AACC, qui enterre le brief de début de campagne marketing, remplacé par la co-construction tout au long du projet. Le marketeur doit en effet accepter le fait que son domaine s’est complexifié et que, ne maîtrisant pas toutes les facettes, il doit être capable de déléguer, tout en gardant le contrôle sur le bon déroulement du projet.
Dans ce contexte, la créativité du marketeur est également un élément qui sera mis en lumière, au fur et à mesure que seront déléguées les tâches rationnelles aux outils et à la DSI. C’est le point de vue de Stéphane Amarsy, auteur du livre Mon directeur marketing sera un algorithme. L’informatique ne semble pour l’instant pas capable d’imiter la créativité humaine et d’avoir des intuitions : aidé par les outils digitaux, le marketeur augmenté saura utiliser ces qualités pour mener à bien ses projets.
Beaucoup de marketeurs seront demain des algorithmes, mais cela ne fera pas disparaître le métier : plus productif et dans un rôle plus polyvalent, la contribution du marketeur sera davantage précieuse pour l’entreprise.